Alors que la consultation publique approche, la question est de savoir jusqu’où sacrifier la biodiversité pour des avancées technologiques ? Dans un monde où les sanctuaires naturels se raréfient, l’atoll de Johnston pourrait devenir le symbole d’un choix crucial entre progrès et préservation.
Un projet de livraison de fret par fusée hypersonique, développé par SpaceX en partenariat avec l’US Air Force, menace l’un des derniers refuges pour oiseaux marins du Pacifique. L’atoll de Johnston, une réserve naturelle isolée, abrite près de un million d’oiseaux, mais pourrait bientôt devenir un site de lancement militaire. Les biologistes tirent la sonnette d’alarme, et ce, à cause du bruit et des vibrations des fusées qui pourraient anéantir des décennies de conservation.
Situé à 1.300 km au sud-ouest d’Hawaï, l’atoll de Johnston est un territoire américain classé réserve nationale de faune sauvage. Longtemps utilisé pour des essais nucléaires et le stockage d’armes chimiques, il a été réhabilité au début des années 2000 pour devenir un sanctuaire essentiel à la survie de 14 espèces d’oiseaux marins.
Parmi eux, des phaétons à queue rouge, des fous à pieds rouges et des frégates géantes, dont l’envergure dépasse 2,5 mètres. Alors que l’atoll n’abritait que quelques milliers d’oiseaux dans les années 1980, leur population a explosé grâce aux efforts de protection. Mais le projet Rocket Cargo Vanguard, visant à tester des livraisons de fret par fusée, pourrait tout remettre en question.
L’US Air Force et SpaceX prévoient de construire deux plateformes de lancement et d’effectuer une dizaine de tests sur quatre ans. L’objectif est de prouver qu’il est «possible d’acheminer 100 tonnes de matériel n’importe où sur Terre en moins de 90 minutes». Une révolution logistique pour l’armée, mais un cauchemar pour les défenseurs de l’environnement.
«Le principal problème, c’est le bruit», explique Ryan Rash, biologiste à l’Université du Texas. «Les oiseaux fuiront leurs nids et n’oseront plus y revenir, condamnant toute une génération.» Steven Minamishin, de l’US Fish and Wildlife Service, confirme que «toute activité aérienne ici aura des conséquences dramatiques».
SpaceX n’en est pas à sa première controverse écologique. En 2023, l’explosion d’une fusée Starship au Texas avait détruit des nids de pluviers, une espèce protégée. Elon Musk avait réagi avec humour, promettant de «boycotter les omelettes pendant une semaine», une réponse qui avait choqué les défenseurs des animaux.
Avant toute mise en œuvre, l’US Air Force doit réaliser une étude d’impact, soumise à consultation publique. Dans un avis publié en mars, elle affirme que le projet n’aura
«probablement pas d’effet significatif», tout en admettant un risque pour les oiseaux migrateurs.
Les associations restent sceptiques. «Ces îles sont les derniers refuges pour ces espèces, menacées par la montée des eaux», rappelle Desirée Sorenson-Groves, présidente de la National Wildlife Refuge Association.
«Après avoir investi des millions dans leur protection, allons-nous tout sacrifier pour des fusées ?»
L’atoll de Johnston a servi de site d’essais nucléaires (1958-1962) avant de stocker des armes chimiques, dont l’agent orange. Après un nettoyage titanesque, il est devenu une réserve protégée en 2004. L’accès y est strictement contrôlé pour éviter tout dérangement.
L’US Air Force assure travailler avec le Fish and Wildlife Service pour «minimiser les impacts». Mais pour les scientifiques, aucune mesure ne compensera les nuisances sonores et lumineuses des fusées.
Nadine Oumakhlouf