Dans un contexte où l’Algérie adopte une nouvelle politique économique orientée vers le marché africain, le groupe Sonatrach s’attelle à se positionner dans le continent, à travers des investissements dans le secteur énergétique. La même démarche est également adoptée dans le bassin méditerranéen. C’est ce que relève dans cet entretien l’expert économique Mourad Kouachi, estimant que Sonatrach jouit d’une grande capacité pour réussir sa stratégie d’internationalisation.
Sonatrach envisage de se lancer dans la pétrochimie et le raffinage au Niger. La société nationale est engagée dans d’autres pays de différents continents, comme le Mali, la Libye, l’Italie et même en Amérique latine. Quelle lecture faites-vous de la stratégie de la Sonatrach à l’international ?
Sonatrach adopte depuis quelques années une nouvelle stratégie appelée dans les sciences économiques et le monde des affaires la stratégie d’internationalisation, ce qui se traduit par l’expansion de son portefeuille de projets d’investissement pour atteindre de nouveaux marchés, comprenant des pays africains. C’est le cas donc du Niger, et probablement de la Mauritanie dans l’avenir, alors qu’avant ces destinations, la société nationale avait déjà des expériences dans d’autres pays, comme la Libye ou l’Italie. Cette démarche revêt donc un intérêt capital, étant donné que c’est cette stratégie qu’adoptent toutes les grandes sociétés qui dominent le marché mondial de l’énergie.
Il faut noter aussi que Sonatrach jouit d’un important capital en matière d’expérience, d’expertise et de ressources humaines. Ce sont ces acquis, ajoutés à la solidité de ses capacités financières, qui lui permettront de se déployer à l’international et d’investir dans d’autres pays. Cette option permettra aussi à la société nationale de réaliser de nouveaux succès comme ceux qu’elle a déjà réalisés ces dernières années, que ce soit sur le marché intérieur, à travers notamment la multiplication des découvertes de nouvelles réserves prouvées, ce qui a permis à l’Algérie d’occuper la première place mondiale en termes de découvertes, ou en termes de ses engagements envers ses partenaires internationaux, ou l’augmentation de ses volumes de production et d’exportation.
Donc, je crois que l’investissement au Niger est un pas supplémentaire de Sonatrach pour l’élargissement de ses activités vers d’autres marchés. Il faut noter aussi que Sonatrach mène ces dernières années une nouvelle politique qui consiste à diversifier son portefeuille clients en s’orientant vers des clients non traditionnels. Si dans le passé, les exportations de la société nationale allaient dans leur majorité vers les pays de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne le gaz liquéfié, ces dernières années, elle compte des clients dans le continent asiatique, jusqu’à la Corée du Sud, le Japon et plusieurs autres destinations d’Asie de l’Est.
Enfin, la multiplication des activités de la société à l’international, soit en matière d’investissement ou de diversification de ses clients, donnera à Sonatrach une force supplémentaire et consolidera sa position dans les négociations avec ses partenaires à l’avenir.
Quel peut être le rôle de Sonatrach, à travers ses activités dans les pays de la région, dans la nouvelle stratégie de l’Algérie visant à s’ouvrir davantage sur le marché africain ?
L’orientation vers la profondeur du marché africain est un choix stratégique pour l’Etat algérien, dont il a fait une priorité ces cinq dernières années, en exprimant cette volonté réelle de s’orienter vers l’Afrique. Ceci s’est ainsi traduit par les multiples projets réalisés dans des pays du continent, comme la réalisation de la route de l’Unité africaine, le gazoduc Algérie-Niger-Nigeria, une première zone franche aux frontières avec la Mauritanie, en attendant la réalisation de quatre autres zones avec d’autres pays voisins. Il y a aussi le nouvel axe routier entre l’Algérie et la Mauritanie, sans compter le renforcement des dessertes aériennes et maritimes avec plusieurs capitales du continent.
L’Algérie a donc fait un choix stratégique à travers sa nouvelle politique africaine, et ce, au moment où elle nourrit la conviction que le développement de l’Afrique ne peut se réaliser qu’à travers le développement des économies du continent, qui, rappelons-le, en dépit de toutes les ressources et les potentialités dont il dispose, demeure malheureusement sous-développé.
Et qu’est-ce qui est attendu de Sonatrach dans le domaine de l’énergie justement ?
C’est à ce niveau que peut intervenir le rôle de la Sonatrach pour fournir ses services à plusieurs pays du continent africain et, comme je viens de le souligner, la société nationale dispose d’une importante expertise dans ses domaines de compétence, d’importants moyens technologiques et financiers pour réussir ce pari. Le choix de la société pétrolière de réaliser des investissements dans certains pays africains appuiera ainsi la stratégie de l’Etat favorisant la coopération Sud-Sud et l’intensification des relations de l’Algérie avec les pays du continent. Ce que fait Sonatrach s’inscrit donc dans la vision globale de l’Etat algérien privilégiant le renforcement de ces relations.
Outre l’Afrique, quelle est votre vision des perspectives du marché méditerranéen de l’énergie et quel pourrait-être le rôle de Sonatrach au niveau régional à moyen et long terme ?
Pour ce qui est des perspectives du marché méditerranéen de l’énergie et le rôle que pourrait jouer Sonatrach dans cet espace, il faut noter que si beaucoup doutaient des capacités de la société nationale à honorer ses engagements, depuis la crise de la pandémie de la Covid-19, suivie de la guerre russo-ukrainienne, l’Algérie a démontré et prouvé au monde le contraire en honorant justement l’ensemble de ses engagements énergétiques envers ses partenaires, alors que Sonatrach concentre ses efforts dans le renforcement de ses capacités de production et d’approvisionnement. Sur ce point, il est important de rappeler que le président de la République a demandé à Sonatrach d’augmenter les volumes de sa production de gaz à 200 milliards m3 et ses exportations à 100 milliards m3.
Dans le cadre de cette nouvelle politique, il y a eu donc, à titre d’exemple, l’accord avec l’Italie pour la réalisation d’un nouveau gazoduc direct reliant les deux pays, étant donné que le gazoduc exploité actuellement et qui passe par la Tunisie a atteint les limites de ses capacités de transport. Le renforcement des livraisons de gaz vers l’Italie permettra ainsi d’augmenter l’approvisionnement de plusieurs pays de l’Union européenne en gaz algérien, laquelle politique a renforcé ces dernières années le rôle de l’Algérie dans le marché énergétique méditerranéen, en devenant le premier fournisseur de gaz dans la région. Sonatrach joue donc le rôle d’acteur clé, et à travers elle l’Algérie, dans la région et renforce la confiance des pays de la région qui la perçoivent désormais comme un partenaire fiable.
Avec son déploiement au-delà du territoire national, peut-on considérer que Sonatrach est devenue un groupe de même rang que les grandes sociétés internationales du secteur énergétique ?
Oui, avec les performances qu’elle a atteintes, je crois que Sonatrach est de même poids que le reste des grandes sociétés énergétiques mondiales, étant déjà la plus grande firme du continent africain, comme elle est aussi au 12e rang mondial. Elle dispose de tous les moyens qui la hissent au même niveau que ses homologues des autres pays, notamment un capital humain d’une grande importance, qu’elle a développé grâce à des formations de grande qualité qu’elle dispensent à ses cadres, ingénieurs et techniciens, mais aussi en se lançant dans l’acquisition des technologies les plus modernes. Autant de paramètres qui font donc que Sonatrach se place parmi les leaders du marché mondial de l’énergie, alors qu’elle a les leviers nécessaires qui lui permettront d’avancer davantage et de se distinguer au niveau mondial.
Propos recueillis par M. Naïli