Quelles appréciations faites-vous des propos d’Emmanuel Macron contre l’Algérie ?
J’écarte d’abord le paravent de la liberté d’expression parce que dans le pays que Macron préside on ne compte plus le nombre de journalistes ayant perdu leurs emplois et les intellectuels intimidés, harcelés, et stigmatisés pour avoir cru qu’ils pouvaient nommer le génocide palestinien. En France, la censure et l’autocensure sont largement répandues lorsqu’il est question des Palestiniens. Tout le monde le sait. On sait aussi que plus de 200 journalistes ont été assassinés en Palestine depuis un an et demi. La France a inventé une absurdité juridique pour accorder l’immunité au premier responsable de ce massacre, Netanyahu, poursuivi par le Tribunal pénal international.
L’intention est donc autre. Macron souhaite que l’Algérie adopte une politique différente sur deux plans. Premièrement, sur le dossier palestinien. Il faut savoir que la politique étrangère de la France au Moyen-Orient et en Afrique du Nord est déterminée de part en part par les intérêts israéliens. Le changement de la position française sur le Sahara occidental s’explique en grande partie par la normalisation entre le Maroc et Israël et sur l’effacement total du Maroc concernant le génocide actuel. Le second plan est le souhait d’un retour à la prise en compte des intérêts économiques français dans les prises de décisions stratégiques à Alger.
Le propos de Macron est, cependant, désinvolte et anachronique. Alors que les pays africains où la France a bénéficié d’une influence néocoloniale démesurée pendant plus d’un demi-siècle, rejettent les uns après les autres la présence française, on est en droit de se demander, ce qui a bien pu amener Macron à penser que de tels propos allait faire changer de cap à l’Algérie. En fait, rien, si ce n’est la désinvolture d’un réflexe néocolonial anachronique.
Les déclarations du président français font suite à plusieurs déclarations hostiles à l’Algérie d’autres responsables, politiques et médias français. À quoi cela obéit-il selon vous ?
On peut ramener ces déclarations à la confluence des intérêts de la droite et de l’extrême droite française. Comme vous le savez, depuis une vingtaine d’années, les vases communicants entre la droite et l’extrême droite françaises, plutôt étroits après la débâcle de la Seconde Guerre mondiale, se sont bien élargis. Au point où il est très difficile aujourd’hui de les distinguer. Cette fusion s’est faite selon une logique précise : à la droite la liberté de mettre en œuvre une politique économique ayant pour principal objectif de détruire la social-démocratie en France (c’est le principal projet de Macron et ce fut celui de Sarkozy qui, le premier, a normalisé la référence aux thèmes de l’extrême droite), et à l’extrême droite, les thèmes sociétaux centrés sur des obsessions identitaires ayant pour principale cible les musulmans, les Arabes et les Noirs. Mais contrairement à ses homologues européens, l’extrême droite en France s’est reconstruite à partir des années soixante par les nostalgiques de l’Algérie française. Voilà pourquoi le thème de l’Algérie prend de l’ampleur à mesure que l’extrême droite politique et médiatique domine la scène politique française. Aujourd’hui, Macron se trouve à la tête d’un Etat fragilisé par une instabilité politique désormais chronique. Il est incapable de gouverner sans l’extrême droite. Pour ce faire, il lui faut faire des concessions sur les deux vecteurs chers à l’extrême droite : la xénophobie dans les questions internes (par des lois clairement inspirées de l’extrême droite) et le néocolonialisme. Le drame est que cela a mené la France au bord du gouffre. Mais Macron ne s’en émeut pas. C’est le prix de ce qu’il convient d’appeler le machiavélisme instinctif.
Peut-on dire aujourd’hui que Macron a une attitude néocoloniale, si l’on passe en revue toutes ses déclarations moralisatrices et empreintes de racisme envers les Africains, de manière générale ?
Oui, on peut le dire et ajouter que c’est là aussi un point commun avec Sarkozy qui avait tenu un propos peu spirituel sur les Africains. Souvenez-vous, alors qu’il se trouvait en Afrique, il avait déclaré que «l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire». Mais cette déclaration n’est pas typique du néocolonialisme lorsque le néocolonialisme est au sommet de sa domination. C’était en 2007, à l’époque et malgré l’anathème associé à la Franceafrique, rares étaient ceux et celles – en France en tout cas – qui pensaient que la France allait s’effondrer en Afrique comme elle a fini par s’effondrer. Et c’est précisément à ce moment précis que Marcon tient ses propos qui, en définitif, font écho au déclin de la France en Afrique plus qu’autre chose et exprime un ego néocolonial blessé. Politiquement, quitte à me répéter, cette ligne rhétorique sert à amadouer l’extrême droite française pour, non pas avoir ou recouvrer l’influence perdue en Afrique, mais pour gouverner la France.
Entretien réalisé par Lyès Menacer