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Dr Mehdi Bouchetara, maître de conférences en économie à l’Ecole nationale supérieure de management: «L’Algérie est un partenaire incontournable dans la région»

 

«Contrairement à d’autres pays européens, Rome adopte une approche pragmatique, évitant les ingérences dans les affaires internes algériennes», a déclaré l’universitaire. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’économiste affirme que depuis plusieurs années, l’Algérie et l’Italie entretiennent une «relation diplomatique et économique solide, fondée sur des intérêts mutuels et une complémentarité qui dépasse la simple question énergétique».

Entretien réalisé par Badreddine K.

Quelle appréciation faites-vous de l’évolution des relations bilatérales algéro-italiennes, notamment ces deux dernières décennies ?

Je parlerai d’une évolution marquée par le réalisme économique et politique. Il y a 20 ans, les relations entre Alger et Rome étaient principalement fondées sur le commerce des hydrocarbures. L’Italie, dépendante de l’énergie importée, trouvait en l’Algérie un fournisseur stable et fiable, tandis qu’Alger y voyait un client sûr et un partenaire moins interventionniste que d’autres pays européens. Cependant, au fil des années, cette coopération s’est élargie. L’Italie est devenue l’un des premiers partenaires économiques de l’Algérie, avec un volume d’échanges dépassant 10 milliards de dollars en 2022. Le rapprochement s’est accéléré après la crise énergétique de 2022, qui a vu l’Algérie prendre la place de premier fournisseur de gaz naturel de l’Italie, couvrant près de 38% de ses besoins en 2023. Mais cette dépendance énergétique ne doit pas masquer l’enjeu principal : comment faire en sorte que cette relation ne se limite pas aux hydrocarbures.

 

Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la République italienne, Antonio Tajani, a déclaré, lors de sa récente visite en Algérie, que les relations entre l’Algérie et son pays sont très fortes» et a annoncé l’organisation, prochainement, d’une rencontre entre les deux gouvernements en Italie. Quelle serait, selon vous, la portée de cette annonce sur le plan politique, diplomatique et économique ?

Il s’agit d’une annonce diplomatique qui traduit un enjeu stratégique. Lors de sa dernière visite en Algérie, le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, a réaffirmé la force des liens entre les deux pays et annoncé une réunion intergouvernementale prochaine en Italie. Cette rencontre va bien au-delà d’un simple échange diplomatique. Elle est un signe de l’importance croissante de l’Algérie pour l’Italie et de la volonté de Rome de structurer cette relation sur le long terme. Sur le plan politique, cette dynamique positionne l’Italie comme acteur clé en Méditerranée, tout en consolidant le rôle de l’Algérie comme un partenaire incontournable dans la région. Contrairement à d’autres pays européens, Rome adopte une approche pragmatique, évitant les ingérences dans les affaires internes algériennes et favorisant un dialogue basé sur la confiance mutuelle. D’un point de vue économique, l’Italie cherche à sécuriser ses approvisionnements énergétiques, mais aussi à investir dans des secteurs stratégiques en Algérie. Cette rencontre pourrait ouvrir la porte à de nouveaux projets dans l’industrie, le BTP, l’automobile, l’agriculture et le tourisme, autant de domaines où l’Italie possède une expertise reconnue et où l’Algérie a un fort potentiel de développement.

 

Comment expliquez-vous le regain d’intérêt affiché clairement par l’Italie pour approfondir davantage les relations économiques avec l’Algérie ?

L’Algérie est un pilier de la stratégie énergétique italienne. La place croissante de l’Algérie dans la politique énergétique italienne s’est accentuée après la crise en Ukraine, qui a profondément modifié les flux d’approvisionnement en gaz en Europe. En 2021, l’Italie dépendait à 40 % du gaz russe.  En 2023, cette dépendance a été ramenée à moins de 20%, en grande partie grâce aux livraisons algériennes. L’accord signé en 2019 et le contrat de 4 milliards de dollars en 2022 entre Sonatrach et l’ENI  illustrent cette montée en puissance de l’Algérie dans la stratégie énergétique italienne. Toutefois, si cette position offre un levier diplomatique à Alger, elle ne doit pas être une fin en soi. Le risque est de voir l’Algérie rester cantonnée au rôle de simple fournisseur d’énergie, alors que le pays a les capacités d’exiger des investissements productifs et un transfert de savoir-faire dans d’autres secteurs. Dans cette optique, l’Italie pourrait jouer un rôle dans le développement des énergies renouvelables en Algérie, notamment dans l’exploitation du potentiel solaire du pays. Investir dans les énergies vertes permettrait non seulement de diversifier l’économie nationale, mais aussi d’anticiper la transition énergétique mondiale qui se profile.

 

Quel serait l’apport de la diversification dans les investissements algéro-italiens pour l’économie nationale ?

Pour l’Algérie, il est impératif de diversifier les investissements. Si notre pays veut tirer pleinement profit de sa relation avec l’Italie, il doit imposer une logique de partenariat équilibré. Il ne s’agit pas seulement de sécuriser des contrats gaziers, mais d’attirer des investissements dans des secteurs stratégiques. L’agriculture est, par exemple, un domaine où l’Italie possède une expertise reconnue en agro-industrie et irrigation. L’Algérie pourrait utiliser ce savoir-faire pour améliorer sa production locale et réduire sa dépendance aux importations alimentaires. Le secteur automobile, avec le retour de Fiat en Algérie, constitue une opportunité pour bâtir une industrie locale durable. Si ce projet est bien encadré, il pourrait générer des milliers d’emplois et structurer un écosystème industriel compétitif. Le tourisme, encore sous-exploité, est un autre levier de diversification. L’Algérie possède un patrimoine naturel et historique exceptionnel, lié à l’histoire de Rome, qui pourrait attirer davantage de visiteurs italiens si les infrastructures adaptées étaient mises en place. L’industrie et les infrastructures restent aussi des axes majeurs à développer. L’Italie, avec ses grandes entreprises du BTP et de la construction, pourrait accompagner l’Algérie dans ses grands projets d’aménagement et de modernisation urbaine.

 

Quelles perspectives attendre, à l’avenir, des relations algéro-italiennes ?

Le partenariat qui lie l’Algérie à l’Italie doit être renforcé mais avec prudence et pragmatisme. Les deux nations disposent de nombreux atouts pour approfondir leur coopération, mais cette relation doit être pensée de manière stratégique. L’Algérie doit veiller à ne pas tomber dans une relation déséquilibrée, où elle se contenterait d’exporter du gaz sans bénéficier d’investissements significatifs dans d’autres secteurs. Pour ce faire, Alger doit adopter une vision à long terme, exigeant des partenariats industriels, le transfert de technologie et une montée en compétences locales. L’Italie, de son côté, devra prouver que son engagement en Algérie ne se limite pas à la sécurisation de ses intérêts énergétiques, mais qu’il s’inscrit dans une logique de développement mutuellement bénéfique. Les prochaines années seront déterminantes. Si l’Algérie parvient à diversifier ses sources de revenus et à structurer un cadre attractif pour les investissements, ce partenariat pourrait devenir un modèle de coopération équilibrée en Méditerranée. Mais pour cela, il faudra négocier intelligemment, fixer des conditions claires et s’assurer que chaque accord signé apporte une réelle valeur ajoutée à l’économie nationale. L’Algérie a tout à gagner en jouant ses cartes avec prudence et pragmatisme. Dans un monde en perpétuel changement, l’important n’est pas seulement d’avoir des partenaires, mais de savoir comment en tirer le meilleur profit.

B. K.

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