La vérité sur les essais nucléaires français dans le Sahara algérien, insidieusement enrobés du nom de code de Gerboise bleue ou plutôt Gerboise noire, a fini par éclater au grand jour. Les initiateurs français arguaient, au début, de simples «expériences scientifiques», mais au fil des décennies, celles-ci se sont avérées de véritables explosions nucléaires qui ont ravagé plusieurs localités au sud du pays causant des dégâts sur la santé des habitants et des conséquences désastreuses sur la faune et la flore. Me Benbrahem Fatma-Zohra, militante chevronnée et défenseuse acharnée de cette cause, très engagée pour la reconnaissance pleine et entière de ces explosions, réfute la thèse fallacieuse de la France, battue en brèches à coups d’arguments et de preuves irréfutables qu’elle a mis en avant avec d’autres éléments algériens. Concernant cet épineux dossier, l’avocate le dit clairement dans l’entretien qu’elle nous a accordé : «Les explosions françaises commises en Algérie sont au stade de la reconnaissance politique.»
Le dossier de ce crime abject perpétré par l’Etat français, il y a six décennies, connaît visiblement d’importants développements. Pourriez-vous relater les diverses étapes que vous avez suivies avec vos confrères et consœurs, vos amis et les autres militants ?
Je dirais, peut-être, que ce dossier est l’un des plus gros de l’histoire qui opposent l’Algérie à la France. L’Etat français a fait en sorte à ce que personne n’entende parler ou évoque ce dossier. J’ai découvert cette histoire des essais nucléaires grâce à mon jardinier aâmi Abdelkader qui était parmi les Algériens ayant servi de main-d’œuvre dans ce qu’il appelait, lui, «bombe atomique». «Nous avons participé à la réalisation de la bombe atomique», disait-il. Les militaires français prenaient pêle-mêle des Algériens et les transportaient vers le Sud afin d’effectuer les travaux pour préparer les plateformes et les bâtiments et autres structures de cette sale besogne. Une chose est certaine, le dossier étant très lourd, nous évoluons pas à pas. Les choses ont commencé à s’éclaircir à partir de 2001 avec l’affirmation des vétérans, des militaires, des civils français ayant contribué à la réalisation de cette bombe qui en ont parlé et nous ont mis au parfum à propos du véritable objectif de ces travaux dans le Sahara algérien.
En 1957, l’Etat français a voulu séparer le sud du pays du Nord, c’est-à-dire céder le nord et s’accaparer du Sud afin de poursuivre dans le Sahara ses essais nucléaires. La France a demandé à l’ONU de mettre en œuvre son programme d’essais nucléaires dans le but de faire partie du club des pays détenteurs d’une bombe atomique et devenir ainsi une puissance atomique. Est-ce la véritable raison ?
Oui, c’est la véritable raison. Et contrairement à ce qui se disait ici et là, ce ne sont pas les découvertes du pétrole en 1956 dans le Sud qui était la raison essentielle. Face au refus des Algériens de l’option française, la France a demandé à ce qu’on lui accorde un délai supplémentaire de 5 à 6 ans, jusqu’à 1967, pour qu’elle puisse développer ce qu’elle appelait, les expériences scientifiques, dans le Sahara. L’argument avancé a trait aux infrastructures édifiées, le matériel investi, les engins mobilisés là-bas qu’elle doit exploiter.
Dans les accords d’Evian, il a été mentionné clairement qu’il s’agissait d’expériences scientifiques qui devraient être effectuées mais sur le terrain, ce sont de réelles explosions nucléaires. Vous le confirmez ?
Oui, exactement. Pis, conformément aux accords d’Evian, les Algériens n’avaient pas accès à tout ce périmètre, car c’était une zone militaire. Ils y faisaient ce qu’ils voulaient.
Le 13 février 1960, la première bombe atomique française dénommée Gerboise bleue a été mise à feu sur le site nucléaire de Reggane, provoquant une catastrophe naturelle, humaine et environnementale, avec une puissance oscillant entre 60.000 et 70.000 tonnes d’explosifs, soit cinq fois celle de la bombe larguée sur Hiroshima (Japon), selon de nombreux experts en la matière. Et là, l’on ne peut parler d’expériences scientifiques ?
Oui, et quand ils sont partis en 1967, ils ont tout enseveli, entre chars, avions, bateaux… Et depuis, c’est l’omerta. Personne ne savait ce qui a été fait dans cette zone… interdite.
Il a fallu, comme je l’ai dit précédemment, que les vétérans parmi les militaires, victimes de maladies de diverses natures, suite à leur implication de près ou de loin dans ces essais, parlent pour que la vérité éclate au grand jour. Actuellement, nous travaillons ensemble sur ces dossiers, entre Algériens, ces vétérans français et les Polynésiens victimes également de ces explosions.
Quand et comment la bataille juridique sur ce dossier a-t-elle commencé ?
La loi fondamentale sur la base de laquelle nous avons entamé le travail est le statut de Rome du 17 juillet 1998 qui est d’une importance capitale. Le point culminant de cette loi stipule de manière très claire que toute expérience sur l’être humain est considérée comme un crime contre l’humanité. Or, c’est ce qui était appliqué formellement sur la population de la région de Reggane et des localités environnantes, utilisée par les Français comme cobayes. Il s’agit, donc, d’une expérience sur les humains, et le droit international interdit et criminalise cet acte. Ainsi, ce dossier a pris un virage, historique, politique et juridique très important et une dimension politique et juridique cruciale.
Dans ce dossier, les Français ont voulu cacher, à la fois, le crime et l’arme du crime…
Tout à fait, à ce jour, ils n’ont pas daigné procurer aux Algériens les cartographies des endroits où sont ensevelis les restes du matériel et autres engins irradiés qui continuent de faire souffrir le martyr aux citoyens habitant la région depuis de longues décennies. Je me demande comment ils ont fait pour enterrer tous les bâtiments et les équipements de guerre, car une chose est certaine, ils ne les ont pas pris avec eux lors de leur départ.
Le nuage atomique a atteint certains pays d’Afrique et ceux de l’Europe. Peut-on s’attendre à une réaction de leur part et un éventuel soutien à ce propos ?
Le 28 octobre dernier, nous avons créé le réseau algérien de lutte contre la pensée coloniale et le néocolonialisme à travers le monde.
La création de cette instance a pour but de permettre aux pays africains de se joindre à nous et de les associer dans nos démarches et nos actions, car la pensée coloniale est plus dangereuse que la colonisation elle-même. La colonisation est matérielle. Elle a un début et une fin. Avec la pensée coloniale, en revanche, on viole votre esprit avec les médias, des calomnies, et vous continuerez à penser que la France est la meilleure.
La problématique des archives reste toujours posée ?
Effectivement. La France n’a pas voulu nous les remettre. Mais ne vous inquiétez pas, nous agissons et avançons sur la bonne voie. Nous avons, toutefois, jugé utile de ne pas en parler.
B. K.