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Brahim Guendouzi, professeur en économie : «Arbitrer entre la satisfaction du marché national et les marchés»

 

L’Algérie a entamé la mise en œuvre de l’accord de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), le 1er novembre dernier. Qu’est-ce que cela signifie pour l’économie algérienne en général et l’entreprise en particulier ?

L’Algérie a ratifié par décret présidentiel n°21-133 du 5 avril 2021, l’accord portant création de la zone de libre-échange continentale africaine, signé à Kigali le 21 mars 2018. Les pouvoirs publics placent beaucoup d’espoir dans cet espace d’échange et de coopération entre Africains, car s’inscrivant dans le sens des aspirations énoncées dans l’Agenda 2063 visant à créer un marché continental avec la libre circulation des personnes, des capitaux, des marchandises et des services. Avec pratiquement les mêmes contraintes et les aspirations, l’ensemble des économies africaines, dont l’Algérie, cherchent à transcender les questions du développement économique au bénéfice des populations locales et des générations futures. Aussi, les premiers échanges s’inscrivant dans le cadre de la Zlecaf sont officiellement entrés en vigueur le premier novembre 2024. A cet effet, Algérie a fixé une liste de neuf pays dont les produits seront admis avec des concessions tarifaires. Il s’agit de l’Afrique du Sud, du Cameroun, de l’Égypte, du Ghana, du Kenya, de l’île Maurice, du Rwanda, de la Tanzanie et de la Tunisie. Les entreprises publiques et privées ont saisi, de leur côté, la portée de la Zlecaf qui représente près de 1,4 milliard d’habitants, soit 18% de la population mondiale. Elles se sont déjà lancées dans la bataille du développement des exportations hors hydrocarbures puisque ces deux dernières années, les montants réalisés à l’export sont en nette progression, comparativement aux années antérieures où ils n’ont dépassé que rarement les deux milliards de dollars annuellement. Certes, le nombre d’opérations commerciales réalisées avec des partenaires africains est encore très faible, mais cela laisse présager pour les mois à venir plus d’initiatives sur plusieurs marchés, notamment en Afrique de l’Ouest, de l’Est et l’Afrique australe grâce à des contacts permanents entre opérateurs économiques de part et d’autre.

Une question très simple, l’économie nationale est-elle prête pour intégrer le système commercial continental ?

La question centrale est celle de la disponibilité des produits exportables, car la stratégie axée sur les exportations hors hydrocarbures reste pendante au développement et à la diversification de la production nationale. L’Algérie dispose d’un tissu consistant de PME qui fabriquent des produits se répartissant sur plusieurs filières industrielles, en plus des productions du secteur agricole dont la qualité est reconnue de partout. La problématique qui reste posée alors se rapporte aux excédents de production à dégager pour l’exportation. En d’autres termes, il y a lieu d’arbitrer entre la satisfaction du marché national et les marchés étrangers. Par ailleurs, de nombreuses entreprises fonctionnent en deçà de leurs capacités de production optimales et donc peuvent améliorer leur productivité pour pouvoir chercher des débouchés à l’extérieur. Sur le plan organisationnel, il existe un dispositif d’accompagnement et d’incitation en faveur des entreprises exportatrices, même si de nombreux handicaps sont toujours présents qui astreignent d’ailleurs les patrons de PME à tenter l’expérience de l’exportation. Au demeurant, les marchés africains constituent depuis peu une cible à l’exportation des entreprises algériennes, et ce, pour des raisons de proximité, d’une part, puis de l’expérience déjà acquise de quelques opérateurs nationaux avec des pays tels l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie ou le Sénégal, d’autre part. Un effort de prospection s’impose pour valoriser les différents canaux de commercialisation et de partenariat dans le sens de la densification des échanges commerciaux intra-africains.

Quels pourraient être ses atouts et ses faiblesses ?

Des actions sont menées depuis déjà deux années pour inciter les opérateurs économiques nationaux à investir sur les marchés africains dans le cade de la Zlecaf. A titre d’exemple, des démarches sont faites pour l’ouverture de guichets de banque dans certaines capitales africaines ou encore la mise à disposition de showrooms pour faire connaître le produit algérien à l’étranger en plus des manifestations commerciales qui s’organisent çà et là. Le problème de la logistique, particulièrement le transport international, constitue une véritable préoccupation à laquelle les pouvoirs publics tentent d’apporter des solutions, comme, par exemple, l’ouverture de lignes aériennes par Air Algérie sur certaines grandes capitales africaines.  La logistique représente incontestablement le maillon faible pour assurer l’essor des transactions commerciales sur les marchés africains, souvent fragmentés, car c’est de l’acheminement physique des marchandises dont il s’agit, et ce, dans des conditions de coût et de sécurité qu’il va falloir maîtriser.

Pensez-vous que tout l’écosystème, toutes les conditions sont mises en place pour l’entrée en vigueur et l’application de l’accord sur le terrain ?

L’écosystème lié à l’exportation doit évoluer pour devenir un véritable savoir-faire national et inculquer un état d’esprit autour de l’acte d’exporter chez tous les opérateurs économiques ainsi que les administrations et institutions publiques. Ce n’est pas tant pour ce qui concerne les pays africains dans le cadre de la Zlecaf uniquement, mais plus par rapport à toutes les opportunités qui se présentent à l’international. Il ne faut pas perdre de vue le contexte de la mondialisation qui fait que l’on soit en présence de véritables chaînes de valeur au sein desquelles il faut mériter sa place et la défendre aussi, car la concurrence est rude. C’est à ce titre que l’entreprise algérienne est amenée à adopter une organisation interne qui tienne compte de l’orientation export en se dotant d’une structure spécialisée devant piloter tout ce qui se rapporte à l’approche des marchés extérieurs.

L’Algérie s’apprête à abriter un événement d’une grande importante pour son économie et pour les économies de pays africains en septembre 2025. Qu’est-ce que ce rendez-vous pour la Zlecaf ?

L’Algérie est désignée pour organiser la Foire commerciale intra-africaine 2025 Intra African Trade Fair- IATF2025 en collaboration avec la banque africaine d’import-export Afreximbank, l’Union africaine  et le secrétariat de la Zlecaf. Il s’agit d’un évènement commercial continental important qui pourra avoir d’importantes retombées positives sur le commerce extérieur et l’investissement de l’Algérie. L’IATF 2025 donnera l’opportunité de signer de nombreux contrats avec les pays africains et d’ouvrir de nouveaux horizons pour promouvoir les produits et le savoir-faire africains. D’ailleurs, l’on s’attend à ce que l’IATF devienne un vecteur en faveur de la création d’une véritable chaîne de valeur à l’échelle africain.

Quels pourraient être les facteurs qui sont à même de freiner les échanges intra-africains ?   

Il est une réalité sur le continent africain, celle de l’insuffisance d’infrastructures de transport et de communication. Il y a également la fragmentation des marchés ainsi que l’existence de barrières tarifaires et
non-tarifaires, particulièrement les réglementations sanitaires et phytosanitaires, qui demandent à être harmonisées. Sur un autre plan, la question de l’origine des marchandises risque également de constituer un point d’achoppement du fait que le démantèlement tarifaire ne sera applicable que par rapport à une origine préférentielle. Les questions de financement sont susceptibles de représenter un frein au développement du commerce intra-africain du fait du poids de la dette extérieure qui pèse sur les économies africaines. Enfin, les aléas climatiques et les conflits sont susceptibles de perturber les chaînes d’approvisionnement.

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