LA VOIE D’ALGÉRIE : Le secteur des assu- rances a enregistré, en 2023, un chiffre d’affaires de 169,6 milliards de dinars, contre 144,9 milliards de DA, en 2020. Quelle lecture peut-on faire de cette pro- gression, dans un contexte de reprise post- Covid-19 et d’inflation ?
Benbouabdellah Abdelhakim : En effet, le secteur des assurances en Algérie a démontré sa résilience pendant la pandémie Covid-19, se démarquant comme l’un des rares domaines à ne pas avoir été énormément affecté par cette crise sanitaire aux répercussions lourdes que tout le monde a connues, bien que notre marché a eu, tout de même, sa part du choc économique et social, en enregistrant un léger recul de son chiffre d’affaires, en 2020. En effet, la reprise et la marche en avant ont été constatées, dès l’exercice suivant (2021). Les résultats consolidés ultérieurement, à l’image de celui de l’année 2023, confirment cette tendance de croissance, observée depuis plusieurs années, à l’exception de 2020, mar- quée évidemment par la pandémie planétaire. Cette stabilité reflète la relative robustesse, sur le long terme, du secteur, malgré les défis persistants et la nécessité de stimuler davantage son développement, notamment en renforçant ses liens avec le marché bancaire et financier national. L’objectif étant de positionner le marché des assurances en moteur-clé du développement économique et social, en Algérie.
Les assurances de Dommages, grâce no- tamment à la branche « Automobile », continuent de prédominer le marché des as- surances en Algérie. Faudrait-il, peut-être, rendre certaines assurances obligatoires ?
En 2023, la production des assurances de Dom- mages a enregistré une hausse de 2,6%, principa- lement grâce aux progressions observées dans les branches « Automobile » et « Incendie et Risques Divers (IRD) ». La branche Automobile, représen- tant 45,6% du total des assurances de Dommages, s’est accrue de 1,6%, stimulée par de nouveaux contrats, les renouvellements et, aussi, l’application plus stricte du plafonnement des réductions en « Automobile » (limité à 50%). Néanmoins, il y a lieu de noter que l’apport de l’IRD (45%) est tout aussi important que celui de la branche « Automobile ». Pour stimuler davantage le marché des assurances, pourrait être envisagé, à titre illustratif, l’extension de l’obligation d’assurance à d’autres branches. Toutefois, cela nécessiterait une série de mesures et une réévaluation des priorités de la part de l’État régulateur, en rendant effectif l’accompagnement nécessaire s’agissant du contrôle de toute obligation y relative. Ceci est d’autant plus interpellant, à la lumière de l’expérience mitigée observée dans le cas de l’assurance contre les effets des Catastrophes Na- turelles (Cat-Nat), qui peine à avancer et ce, près de vingt ans après son introduction comme assurance obligatoire.
Ce dernier cas incite, aussi, à réfléchir quant à l’effi- cacité de la solution rendant obligatoires certaines assurances. Ne serait-il pas plus judicieux et plus efficace de dynamiser davantage le rôle des assu- reurs, en matière de communication, de vulgarisa- tion, de sensibilisation, d’amélioration continue de la prestation de service et de l’accompagnement des assurés ?
En 2023, les assurances agricoles ont enre- gistré une baisse de 18%. Les réticences des agriculteurs, face aux mauvaises condi- tions climatiques (sécheresse) pourraient- elles expliquer, à elles seules, cette mau- vaise performance ?
Effectivement, l’assurance Agricole a enregistré une baisse de 18%, durant l’exercice 2023. Cela est dû, essentiellement, aux conditions climatiques dé- favorables (stress hydrique, voire même sécheresse) ayant découragé certains agriculteurs à s’assurer,
notamment en « Multirisques céréales ». Ce faible taux est également dû à plusieurs autres facteurs, surtout le manque d’adaptation des produits d’assu- rance aux besoins des agriculteurs, à l’image de ce qui concerne les risques climatiques et sanitaires. Ainsi, ledit taux démontre un potentiel inexploité. Dans ce domaine, tout aussi stratégique que sen- sible, l’innovation et la promotion de la culture d’assurance, auprès des agriculteurs et éleveurs, devraient constituer l’un des ressorts du développe- ment de ce segment d’assurance.
L’Algérie dispose d’une surface cultivable de plus en plus vaste et ce, grâce à la politique de mise en va- leurs de nouvelles terres dans le Grand Sud algérien, mais, son exploitation demeure insuffisante, au vu des besoins d’autosuffisance alimentaire et, aussi, de projections d’exportation des produits agricoles. L’assurance Agricole ne représente qu’une fraction minime du marché global des assurances, n’oscillant qu’autour de 1,5%.
Pour dynamiser ce segment de l’assurance, il y a lieu de recourir à certains volets tels que la micro-assu- rance et, surtout, la mise à jour du dispositif d’assu- rance des calamités agricoles, élaboré dans le cadre de la concertation menée par le Conseil National des Assurances, avec les acteurs concernés dont ceux du secteur de l’agriculture.
La part du secteur privé dans la branche des assurances agricoles est de seulement 3,3%. Quelles en sont les raisons, selon vous, et comment pourrait-on impliquer davantage le privé dans cette activité ?
Effectivement, le marché de l’assurance agricole est essentiellement porté par la Caisse nationale de mutualité agricole (CNMA), suivie par la SAA. Les autres sociétés qui proposent des produits liés à cette branche sont aussi rares que commercialement dis- crètes. Il y a, de la sorte, un manque d’implication des autres compagnies d’assurance, publiques ou privées, dans le secteur agricole, attribuant cela aux difficultés de ce marché, à sa méconnaissance pro- fonde, et à un manque d’expertise et d’expérience. Comme pour toutes les autres branches, l’assurance agricole peut présenter des opportunités à saisir, à la fois par les sociétés à capitaux publics que privés. Par voie de conséquence, c’est à chaque société de s’investir dans ce domaine, suivant plan stratégique de développement de chacune d’entre elles.
Paradoxalement, les assureurs privés do- minent la branche Crédit, dans sa partie dédiée au « Crédit à la consommation ». Comment cela pourrait-il s’expliquer ?
La part des sociétés privées dans la branche Cré-
dit, notamment sa partie consacrée au Crédit à la consommation pourrait s’expliquer par l’orienta- tion accordée par ces assureurs à leur activité sur le marché national et, aussi, par la redynamisation du marché de l’immobilier offrant davantage d’oppor- tunités, en termes de crédit et d’assurance-Crédit, aux banques et aux sociétés d’assurances.
La relance du marché national de l’automobile, importation et production/montage aidant, cet axe du crédit à la consommation devrait, lui aussi, être boosté, tout comme cela reste valable pour d’autres segments de la production nationale tels que l’élec- troménager,etc. S’agissantduconstatquevousdres- sez, à propos de la dominance du privé relativement au crédit à la consommation, cela pourrait trouver explication dans les orientations stratégiques de chaque assureur et du degré de son convention- nement avec les acteurs bancaires et institutions financières.
La souscription à l’assurance concernant le « crédit hypothécaire » a progressé de 8,1%, en 2023. Est-ce le signe d’une reprise du secteur immobilier ?
Le secteur des assurances qui s’est distingué par une relative résilience aux effets de la crise sanitaire de la Covid-19, a profité aux segments de l’écono- mie nationale qui se sont remis des conséquences de
cette crise.
La garantie des crédits immobiliers accompagne toute dynamisation du secteur de l’habitat. Le sec- teur immobilier fait figure des segments qui auraient profité de cette rémission de l’économie.
L’assurance Transport ferroviaire a régressé de 17,4%. À quoi cela est-il dû, à votre avis ?
Cela est dû à l’accroissement de la production des sous-branches Transport terrestre (+9,6%) et Transport aérien (+0,3%) qui détiennent, ensemble, une part de 45,7% dans la branche Transport, rédui- sant conséquemment l’apport direct de l’assurance Transport ferroviaire.
Cependant, il convient de mentionner, ici, que l’Algérie a récemment lancé d’importants chan- tiers dans le secteur ferroviaire, comme celui de la construction de la ligne ferroviaire Béchar-Gara Djebilet. D’autres lignes ferroviaires sont également projetées. Une fois réalisés, ces projets d’une valeur assurable globale dépassant les 400 milliards de DZD, ne manqueront pas d’impacter positivement la sous-branche Transport ferroviaire, à l’avenir.
Comment peut-on fédérer les acteurs du secteur financiers, c’est-à-dire les assurances et les banques, pour apporter une meilleure contribution à l’économie nationale et au PIB ?
Cette question intéresse l’inclusion financière. Apporter une meilleure contribution à l’économie nationale et au PIB passe par la promotion de l’inclusion financière.
Cette dernière nécessite une transformation digitale du secteur financier et l’intégration de solutions novatrices, pour offrir des services financiers à une large population. Les sociétés d’assurance ont tout intérêt à recourir aux Fintechs et aux Assurtechs, afin d’élargir l’inclusion financière. Pour rendre l’assurance plus inclusive, il y a nécessité d’élargir et de faciliter l’accès aux produits d’assurance. La révision du cadre réglementaire et législatif, en cours, est porteuse de solutions, pour diversifier les canaux de distribution et promouvoir la digitalisation du secteur des assurances.
(*) Cet entretien a été accordé en avril à DZEntreprise
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LYÈS MENACER